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11 novembre 1918 - C’est en octobre 1914, le 25 , que les «  fedwebel » sont venus apprendre à Maria, que Ludwig son mari avait été tué, en terre ennemie, en France. Depuis, elle espérait que les troupes allemandes occuperaient ce pays, comme en 1870, et qu’elle pourrait retrouver sa tombe. Elle avait bon espoir de ramener son corps reposer au village, à Wasmanroth, près de Francfort.

Eduard, leur fils, va sur quatre ans. Elle entretient  avec lui, le souvenir de ce père qu’il n’avait jamais connu. Avec la signature de l’armistice, elle sait qu’elle ne retrouvera pas son aimé, son chéri, qu’elle ne pourra jamais plus retrouver le creux de son épaule, pour y reposer sa tête.

Elle devra continuer à conduire, toute seule, la ferme où ils se sont installés en 1910. Au pays, la révolution a chassé le Kaiser, l’avenir est sombre.

« Qu’allons-nous devenir, se dit-elle ? Et Eduard comment va-t-il grandir sans toi ? Où est ton épaule Ludwig ? ton sourire, ta chaleur, ta force, tes bras me manquent ! »


1942 - C’est de nouveau la guerre. Mais cette fois l’Allemagne a envahi la France. Elle est à Paris depuis deux ans.

Maria, aidée de Eduard, a réussi à la ferme. Le fils devenu grand est d’un bon secours à sa mère. C’est un vrai soutien de famille. Il y a quatre ans, il a épousé Thérèsa qui lui a donné un beau petit garçon Hans Pieter. C’est tout le portrait de son Grand Père Ludwig.

Mais Eduard a du rejoindre la Wehrmarcht. Depuis six mois il est stationné en France. Sur la demande expresse de sa mère, il s’est mis à la recherche de lieu de sépulture de son père. Il a enfin trouvé, c’est à Parcy-Tigny !

Depuis qu’elle le sait, Maria supplie qu’on la laisse y aller…Mais Eduard, lui déconseille. Les trains sont souvent bombardés, les chemins de fer sont régulièrement dynamités… C’est trop dangereux ! D’ailleurs, elle n’obtient pas le sauf-conduit et Eduard doit rejoindre le front russe.

Maria pleure, désespérée… Pourra-t-elle, un jour, venir prier sur la tombe de Ludwig ?


C’est pour son soixante-dixième anniversaire que son petit-fils et sa belle-fille lui ont payé le voyage. En 1964 l’Allemagne et la France sont enfin réconciliées !

Grâce aux notes laissées par Eduard, qui à son tour a été tué à Stalingrad, Hans Pieter et Thérèsa ont pu faire cette surprise à Maria.

Elle est enfin là entre les croix de bois, son cher Ludwig à ses pieds. Elle lui murmure : «  70 ans d’âge et seulement 4 ans de vie commune. J’aurais vécu plus de temps avec une ombre, qu’avec toi en chair et en os ! Tu vois maintenant c’est la paix et c’est heureux ! Mais toi pourquoi es-tu venu verser ton sang ici ? Pourquoi ? Pour qui ? Warum (pourquoi) la guerre ? ».

Maria, appuyée sur ses enfants pleure… et, sur cette terre apaisée, ses larmes vont rejoindre le sang de Ludwig !


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Avant propos:  C’est ici, le souvenir d’une balade sur les chemins de  la première guerre mondiale, que je veux vous conter. C’est le souvenir d’entendre presque un siècle plus tard, les âmes qui hantent encore  la Picardie, quand le vent s’engouffre entre les croix des cimetières militaires, et  sur le plateau de Californie.

Sans oublier ce triste refrain, qui m’a accompagné tout au long de l’écriture: AUTEUR INCONNU “  La Chanson de Craonne”

Enfin, ERICH MARIA REMARQUE “A l’OUEST RIEN DE NOUVEAU:”
“Pardonne moi, camarade: comment as tu pu être mon ennemi? Si nous jetons ces armes et cet uniforme, tu pourrais être mon frère.”

Karl ou Walter
Etrangers a cette terre
Sans vie, face écrasée
Les vivants gueules cassées.

A Parcy Tigny, ailleurs, ici,
Au plateau de Californie
Et le vieux Craonne
Plus de maisons, plus personne.

Avant cette pluie d’obus,
Te souviens-tu?
Les rires d’Adelaîde et Victoire
Chemin de Dames devenu si noir.

J’avais là bas,
Une belle, que je prenais dans mes bras.
J’avais de l’autre côté du Rhin,
Une mère rongée de chagrin.

Dans le matin blême,
Le souvenir de Brême,
Et Berlin,
Et ses putains.

Quatre ans déjà,
Comme aux Eparges, là bas.
Le feu, la mitraille,
L’odeur des entrailles.

Que restera-t-il?
Un chant, un hymne.
Croix de bois, Croix de fer,
Et ces cimetières.

Passant anonymne,
Ecoute de l’abîme,
Ce chant lugubre de nos jeunes années,
Mortes avant d’aimer.

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Friedhof



Vous qui voyez ma triste tombe,
Sous ce ciel lourd de Picardie
ne pleurez pas !
Car je ne suis plus là !

Depuis ce jour de 1917 où un obus français
A découpé mon corps,
J’ai quitté ce Monde de terreur
Pour celui d’un rêve éternel.

Je suis maintenant partout :
Dans la pluie qui mouille votre visage,
Comme les larmes de ma mère
Quand elle a vu mon nom écrit sur cette médaille,

Dans ces flocons de neige,
Qui effleurent votre bouche d’un baiser
Comme jadis les lèvres de ma mie
Dans les nuits d’été de Vienne.

Je suis dans ces beaux nuages blancs
Qui viennent d’on ne sait où
Par delà les mers et les montagnes
Apportant le parfum de pays lointains,

Je suis dans l’eau transparente
Du lagon de Bora Bora,
Chevauchant les grandes raies
Qui glissent silencieusement.

Oui, je veux oublier.
Oublier la fureur et la haine,
L’aveuglement et la bêtise humaine,
Pour ne voir que la Beauté

De cette Terre que j’ai si peu connue.





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La poussière est-elle soluble ?…



Une maison véritable accueillante comme une niche, une carapace, une cabane avec table ouverte, un atelier où pouvoir s’étaler, un repli capitonné où faire chanter les instruments, des coins et recoins où se déployer, se réfugier, rire en cascade avec les autres, se lover, pleurer en cachette, s’aimer, ne plus se supporter, s’isoler délicieusement pour lire, coller des papiers ou gratter sa plume avant de retrouver la bande. Une maison, un lieu de partage où concocter à plusieurs un festin ou simplement griller des tartines, un décor insolite et joyeux fait d’objets chinés, récupérés, transformés, où chacun trouverait ses aises sans empiéter sur la fameuse liberté de l’autre. Un renouveau d’espaces dont les murs soudain dépliés comme des fleurs japonaises permettrait tout cela, et tout resterait à recréer, imaginer, aménager au prix d’une belle somme d’inventivité…


Des pièces en enfilade aux tentures poudreuses, encombrées de meubles obsolètes, des salles inexplorées se découvrant, s’ouvrant l’une sur l’autre comme des poupées russes, de telles visions d’horizons prometteurs hantent depuis des années les nuits de Claire qui vit à l’étroit dans un studio. Elle les reçoit émerveillée comme autant de cadeaux dans une perspective de déploiement qui la transporte tout en la rassurant. Les matins qui suivent sont légers, le souvenir du rêve exempt des mites et des poussières suffocantes n’engendrant que pensées optimistes et décisions de mieux-être. Claire se dit alors que tout est possible.


La poussière, la peur moisie, l’odeur âcre des caves, elle les a remisées avec l’enfance, avec ces années de guerre dont elle garde bien enfouies des impressions intactes, comme ce retour des abris où la famille découvre deux façades d’immeubles voisins défoncées par la masse tranchante des rails de chemin de fer, redoutables barres d’acier redressées à la verticale, ayant achevé leur folle trajectoire encastrées au coeur des appartements. Plus avant, au-delà d’une brèche qui troue la rue, un amas de décombres fume encore à la place du pavillon aux glycines, leur vis-à-vis du versant Est. Tous ses occupants sont saufs, le père de famille ayant pris l’initiative de faire sortir les siens dans le jardinet, leur enjoignant de s’étendre à plat ventre et les bras en croix. Ainsi, dans cette position couchée sur le sol que la petite assimile dans ses jeux à  “je suis mort“, il est possible de sauver sa peau ! Ce monde est décidément une mine d’étonnantes découvertes.


De retour à l’appartement, Claire s’élance en sautillant au long du couloir qui dessert les chambres, traverse le vestibule, foule de ses pieds nus la douce mousse  laineuse du salon où sont restés le landau et la poupée. Puis elle caresse le velours frappé du cosy-corner qui la déçoit chaque fois, toujours aussi rugueux au toucher que prometteur au regard. Dans le noir, elle s’efforce de revoir en pensée la nuance bleu pâle irisé du tissu rasé au poil déboussolé, contrarié, peigné en tous sens par la seule volonté esthétique d’un décorateur. Puis elle regagne sa chambre, nullement gênée que la lumière ne soit pas encore revenue : elle connaît sa maison par coeur. On la met au lit ce soir-là sans lui raconter d’histoire car il est trop tard. Le mi-Russe, personnage magique du poêle à fantasmes, a dû s’endormir d’épuisement. Serrant sa poupée, elle entreprend de lui expliquer qu’il lui faut parfois quitter l’endroit très vite sans prendre le temps de rassembler ses joujoux. En cas d’alerte, seuls les grands peuvent juger de ce qui est important et décident en conséquence. Elle ne trouve pas le sommeil et doit l’apprivoiser en s’inventant un rêve léger comme bulles de savon.


A ouvrir les vannes de la mémoire, à donner du présent au passé, le danger est grand de lâcher tout en bloc, comme les avions larguaient leurs bombes. D’un seul coup, par grappes entières vidées en plein sur leur cible. Menace de tous les instants. Le silence ne s’installe pas. Le vrombissement peut resurgir à tout moment et les pruneaux tomber dans les plus hospitalières demeures, sur le toit, sur les têtes, même dans un appartement suspendu entre terre et ciel, dérisoire repaire surmonté de dômes friables couverts d’une carapace d’ardoises cassantes comme du verre, abri précaire, de loin plus précaire que le bunker de la tortue du petit Paul. C’est ainsi que l’on vivait en 1942,  à la lisière de Paris, au creux d’une boucle de la Seine.


Manoleta, novembre 2008

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