Archives pour janvier, 2008

Quelle étrangeté cette cathédrale, cet édifice !
Façade dissymétrique, où est ta tour, la seconde ?
Dans la grisaille de ce ciel plombé où tes murs se fondent
Cathédrale de Soissons, je vois les sacrifices.

Tes bâtisseurs, tes ouvriers ont sué sang et eau
Pour t’élever vers ton dieu encore et toujours plus haut
L’art des Goths, présomptueux, veut toucher les sommets.
«Ah ! Doux-Jésus, Doux-Jésus ! » comme disait ma Mémé
Mais que dois-je faire pour t’atteindre ?
Par ces mots tendres puis-je t’étreindre ?

Quand j’étais enfant, qu’il me semblait aimable
Le Bon-Dieu, le Doux-Jésus
Le Dieu si bon, le Jésus si doux
Quel honneur d’entrer chez ce Dieu si affable !
Dans cette majestueuse cathédrale
Comment ne pas se sentir invulnérable 
Ainsi dans sa maison, conviée au chœur ?

« La petite lampe rouge là-bas, c’est son cœur »
Disait Mémé
Alors, installée dans la nef aux sept travées
Je lui parlais.
Et je passais beaucoup de temps à marchander.
Je lui proposais des commerces avantageux :

« Dieu, accorde-moi en français la meilleure note,
il me faut battre Yvan le terrible, l’affreux,
Le surdoué, le fort en thème qui m’insupporte !
Et je te promets Doux-Jésus que 50 Notre-Père,
50 Je crois en Dieu, et encore toutes les prières
Je te réciterai ! »
Alors je m’emballais,
Et j’insistais,
Je promettais..
C’est le soir qui me contraignait à sortir des lieux
Car la rosace répandait des feux moins lumineux.

Mais à Soissons où je suis née, je dois l’avouer,
Le Bon-Dieu à mon encontre fut bien disposé !

 

CM

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Une bonne tasse de thé fumante posée sur la table basse en teck devant moi, je m’apretais à découvrir les cartes postales du lot acheté le matin même à mon petit bouquiniste des quais de Seine spécialisé dans le nord de la France.Je me délectais à l’avance de l’émotion que ces prises de vue, anodines pour la plupart de mes congénères, allait réssusciter en moi, impatient de retrouver la chaleur de mes souvenirs adolescents moi qui ne dispose que de si peu de temps.
Mince!
De surprise j’en ai lâché la tasse. Je regarde, pétrifié le thé se répandre sur mon tapis persan. Non je ne rêve pas. C’est bien une carte postale de la rue des graviers!
Si je m’attendais!
Cette carte réanime le seul souvenir que j’aurais voulu garder enfoui, que la vie est mal faite!
Un, deux, trois petits cailloux gris
lourds, si lourds dans ma main soudain affaiblie.
Tout me revient malgré moi. Les pièces du décor se remettent en place. En arrière plan l’Aisne qui coule imperturbable devant la haie d’honneur des peupliers dressés au garde à vous.
Les petites maisons de pierres calcaires, grises et mouillées de chaque côté de la rue. Leur toit gris d’ardoise, luisants de pluie. Puis sur le devant de la scène, la bicyclette. Et crispées sur les poignées de cette bicyclette, ses mains. Et au bout, tout au bout de ses mains, son visage pâle, ruisselant et ses lèvres qui remuent imperceptiblement. Puis tout d’un coup, le son de ce qui devait pourtant être un chuchotement envahit la scène:
“C’est fini, je ne t’aime plus, je te quitte.”
Un, deux, trois petits cailloux gris ramassés pour être jetés
trois petits cailloux gris pour ne pas crier
et mon coeur en morceaux éparpillés,
rue des graviers.

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Au temps de leur construction, les cathédrales surgissaient au milieu d’échoppes,
de tavernes, de masures, de maisons bourgeoises, tirant les regards vers le ciel,
qu’indiquait la flèche comme un index tendu.
Le spirituel ne prenait pas ses distances avec le matériel,
seulement de la hauteur.
Mammon commerçait humblement contre les soubassements
de la maison de Dieu. Les aménagements modernes,
en créant places et parvis, font le vide autour,
comme pour faire admirer de loin un monument historique.
Cette absence est comblée les jours de marché par
les vendeurs d’oranges et de choux fleurs, de côtes de porc et de camembert,
de jupes et de toiles cirées, de jouets en plastique et de paella.
Le marchand de volaille reprend la place
qu’il a pu occuper au Moyen Âge,
adossée au mur de la cathédrale, ce haut rocher dans la mer remuante de la ville.

 

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Fanny enfile une jupe plissée verte, se repoudre le nez. Son cœur palpite trop fort dans sa poitrine. Penser à prendre de longues inspirations, lentement….Voilà, la bête sauvage est de nouveau domptée. Rester calme. Brider ce bonheur qui exulte par tous les pores de sa peau.

« Oui, je peux me libérer le week-end prochain. » I

ll lui avait accordé le temps dont elle avait besoin. Dans deux heures, elle sera dans ses bras et ils tourneront l’un contre l’autre, lèvres scellées, se moquant des voyageurs qui les bousculeront peut-être. Ne pas rater le train ! Où est le billet ? Sueurs.

Ouf là sur la table de nuit ! Posé là pour permettre aux yeux de Fanny de le regarder jusqu’à ce que le sommeil l’emporte. Son destin est dans ce billet. Et le destin va enfin lui sourire, Fanny n’en doute pas une seconde. D’ailleurs il fait beau, d’ailleurs dans cinq jours c’est l’été. Leur saison. Celle qui a couvé leur amour naissant. Quatre ans déjà ! Qu’ils étaient forts, l’un contre l’autre, brandissant les pavés sur les forces de l’ordre ! Mai 68. Leur amour a démarré dans les cris et la fureur. Que de chemin parcouru depuis ! Quarante-huit mois d’attente et d’espérance.

Fanny porte un argument de poids en elle. L’Argument qui enfin le convaincra de quitter « l’autre », celle qui empêche son amour de s’épanouir. Celle qui n’a jamais pu lui donner ce dont il rêve et que elle, Fanny va lui offrir, dans quelques heures…. Quatre mois qu’elle attend. Mars, avril, mai, juin…..Le bébé va bien, elle va bien, il l’aime, elle l’aime, trop de bonheur ! S’assoir, respirer…..

Fini les chambres d’hôtels miteux, les rendez-vous annulés à la dernière minute, les retrouvailles sur les aires d’autoroutes, les ébats dans la voiture. Basta ! Clé de contact. La 106 démarre. Boulevard Gambetta, mince une nausée, Avenue de Reims c’est passé, parking de la gare, compostage du billet, l’autorail s’ébranle, Fanny sourit,

Enfin sure de son avenir….

Le train vient de pénètrer dans le tunnel de Vierzy…Nous sommes le 16 juin 1972.

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Par une de ces nuits d’hiver où le vent du Nord balaye les plateaux de Picardie, faisant résonner les vieux volets des maisons comme un sabbat de mille sorcières, je sirotais mon whisky au coin du feu quand une vieille amie m’a raconté cette histoire fantastique. Lecteurs rationalistes et cartésiens passez votre chemin ! Vous ne verrez rien d’autre dans cette histoire que la conjonction de multiples hasards et non cette sombre histoire de possession à l’issue fatale.

Je pense qu’elle illustre le caractère très spécial de la relation que les gens ont avec les cathédrales. Plus que des œuvres architecturales ordinaires elles sont toutes imprégnées d’un mystère et d’une aura que la ferveur des bâtisseurs et des fidèles a fini par communiquer à l’ensemble de l’édifice, dans une sorte de "valeur ajoutée" spirituelle.

Jean était professeur de chant au Conservatoire de Paris. Un jour qu’il visitait en touriste la cathédrale de Soissons il entendit une voix merveilleuse qui chantait un lieder bien connu de Gustav Mahler dédié à des enfants morts. Ce chant tragique est destiné à une voix de contralto et celle qui l’interprétait avait une belle sonorité, grave et profonde, sortant du ventre plus que de la gorge. Curieux, et toujours à l’affût de talents, Jean chercha d’où provenait la voix. A son grand étonnement il vit qu’il s’agissait d’une femme chargée du ménage de la cathédrale, en uniforme gris, appuyée sur son grand balai, un seau posé à ses pieds. Il l’interrogea et voici ce qu’il apprit : elle avait étudié le chant pendant cinq ans mais à la mort de sa mère, se trouvant seule en charge de deux petits frères, elle avait du interrompre ses études et prendre ce travail "alimentaire" offert par le curé de la paroisse. Un soir, se trouvant toute seule dans la cathédrale, elle n’avait pas pu s’empêcher de chanter, écoutant sa voix amplifiée et magnifiée par la sonorité des voûtes.

Marguerite - c’est ainsi qu’elle s’appelait- expliqua à Jean qu’elle avait senti ce jour-là une sorte de chaleur envahir son être avec le sentiment que la grande Cathédrale l’encourageait à chanter. Depuis elle avait renouvelé cette expérience qui lui permettait de renouer avec sa passion du chant. S’ajoutait à ce plaisir profane celui plus étrange, un peu trouble, "d’appartenir" à la grande nef de pierre dans une relation unique et spéciale qui ne s’adressait qu’à elle.

Jean invita Marguerite à prendre un pot à la fin de son service. Il insista pour qu’elle reprenne ses cours de chants. A vrai dire il était tombé immédiatement sous le charme de cette frêle jeune femme, attiré autant par sa voix que par son joli minois aux yeux verts. Il lui demanda de venir à Paris et la présenta à son école. La jeune fille hésitait. Curieusement il ne s’agissait pas d’une question matérielle puisque Jean lui avait promis une bourse qui couvrirait intégralement ses frais de scolarité mais Marguerite finit par avouer qu’elle avait le sentiment de "trahir" la relation qu’elle avait nouée avec la cathédrale. Elle alla jusqu’à lui dire qu’elle se sentait l’obligation de demander l’approbation de son amie au cœur de pierre.

Quelques mois plus tard Marguerite, ayant succombé à l’insistance et au charme de Jean, prenait régulièrement le train de Soissons à Paris pour se rendre au conservatoire. Au préalable, elle s’était rendue à la cathédrale un soir et avait implorée la Grande Dame de lui rendre sa liberté. Dans le silence de cette nuit d’hiver elle avait entendu une sorte de son grave qui provenait des tréfonds de la cathédrale, là où les reliques des saints enfouies dans des cryptes secrètes dorment dans la pénombre depuis près de mille ans. Que signifiait ce son ? Marguerite avait préféré ne pas le savoir.

A la fin du cycle scolaire les relations entre Jean et Marguerite avaient pris un caractère intime qui n’était pas celui d’un professeur et son élève. Il arrivait de plus en plus souvent que Marguerite ne reprenne pas le train pour Soissons, laissant ses frères âgés maintenant de 15 et 12 ans se débrouiller seuls. Elle rejoignait alors Jean à la sortie des cours et ils allaient se faire une soirée "ciné-restau" avant de se retrouver dans le petit appartement de la Butte aux Cailles pour s’aimer.

A la fin des vacances ils avaient décidé de se marier. Marguerite tenait absolument à le faire à Soissons, dans "SA" Cathédrale.

Le jour des noces, Jean, rayonnant  de bonheur,  s’avança seul sous le porche. Au moment où il franchissait la dernière marche du parvis une des gargouilles de pierre se détacha de sa base et tomba du haut du fronton sur la tête de Jean. Avant que son esprit ne sombre dans la nuit éternelle Jean entendit une dernière fois la belle voix de Marguerite qui criait son nom.

Celle qui m’a raconté cette triste histoire, voulant me donner des gages de véracité, affirme qu’on peut encore rencontrer Marguerite dans la cathédrale de Soissons.

Après avoir abandonné le chant, elle a repris son travail de femme de ménage. Toutefois, ajoute mon amie, on aurait du mal à reconnaître en cette femme la belle Marguerite qui séduisit Jean. Ses cheveux sont devenus gris comme la blouse de son uniforme et les reflets verts de ses yeux ont disparu. Elle ne chante plus jamais pour son amie cruelle au cœur de pierre et, si vous voyez ses lèvres remuer, c’est sans doute pour un chant silencieux en forme de prière que seuls les Anges peuvent maintenant entendre : peut-être ce chant de Gustav Mahler pour des enfants morts qu’elle chantait le jour où elle avait connu Jean.

Le feu dans la cheminée commençait à s’éteindre. Le récit avait duré longtemps (je ne vous en ai livré qu’un résumé) et il était temps d’aller se coucher. Chacun est libre de voir dans cette histoire soit l’œuvre du hasard, soit la volonté de quelque chose qui dépasse l’entendement humain.

Jean

Note de l’auteur :

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Jusqu’au 19ème siècle, les femmes ne pouvaient pas chanter dans les églises. Les rôles féminins étaient tenus par des enfants ou par des castrats. On avait peur que la beauté de la voix féminine ne séduise les Anges qui comme chacun sait n’ont pas de sexe.

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    Consubstantiation, transubstantiation.

    Venu du nord, le train des pèlerins fait arrêt. Les guides descendent pour aider les invalides qui attendent sur le quai. Il traversera la France dans la nuit, et arrivera au matin à Lourdes.

    Dans mon lycée protestant irlandais, la pédagogie ne se souciait guère d’éveiller notre intérêt. Pour apprendre « pi », nous grimpions péniblement les paliers de calcul puis, au lieu de nous émerveiller devant le vaste paysage mathématique de l’autre côté de la montagne, nous étions invités à plier cette découverte comme un vêtement de plus à mettre dans la valise que nous traînerions, preuve de notre instruction supérieure.

    Le programme faisait impasse sur l’histoire, trop incendiaire et surtout trop récente, de cette île fracturée entre notre bastion du Nord, que rendaient fragile ses contradictions et injustices intérieures, et la menaçante contrée au Sud. « Si les Catholiques gagnent les élections » disait ma grand-mère « les prêtres feront cours à l’école. » Pourtant son mari, le grand-père que je n’ai pas connu, mais qui aimait écrire et lire, avait été partisan de l’autonomie de l’Irlande, étape vers l’indépendance. Il créait ainsi des difficultés pour ses enfants, obligés d’admettre dans la rue que leur père ne voterait pas pour le candidat Unioniste majoritaire.

    En classe, donc, nous étudiions les dynasties et dates des souverains anglais, leurs guerres, leurs alliances. Même leurs problèmes conjugaux, dont ceux d’Henri VIII qui, pour passer outre à l’autorité du Pape en matière de divorce, a fondé l’église anglicane. Quelque part dans les cours qui suivaient, nous avons appris, aussi platement que si nous devions distinguer deux couches géologiques, la différence entre la transubstantiation, par laquelle le pain et le vin de la messe deviennent le corps et le sang du Christ, et la consubstantiation, pirouette protestante par laquelle ils restent pain et vin, mais investis spirituellement par le Christ. Définitions de plus à fourrer dans la valise des connaissances, mais que ma fréquentation des catholiques en France a enfin éclairées – sans que je sois convaincu ni par l’une ni par l’autre.

    Il est convenu de voir dans la seule dévotion, des pèlerins comme des accompagnants, le miracle de Lourdes. Mais qui n’espère pas une fois un vrai miracle, mais alors un « vrai » : des yeux opaques qui s’allument, le cancer qui file comme un truand, les jambes qui se redressent avec un claquement de genoux ? C’est en envisageant cette magie de Dieu que la foi catholique évolue. Notre relation protestante avec Lui était sans tiers, sous un regard implacable. La communion restait rationnelle. La consubstantiation.

    La jeune fille au chemisier couleur de braise penche la tête, toute disposée à aider dans cette folle équipée des malades et infirmes vers la distante grotte. Tout est possible pour eux. La rencontre avec Dieu dépasse l’entendement. La transubstantiation.

DM

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