Archives pour avril, 2008
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Il y a des souvenirs dont l’intensité me surprend. C’est comme si je me promenais dans une galerie où tous les tableaux sont pleins de vitalité, de détails saisissants, mais dont un me happe par sa puissance, fait s’épaissir le fond de ma gorge et monter une chaleur aux yeux.
Ma mère aimait raconter des histoires de son enfance et de sa jeunesse, souvenirs brefs, décousus, réitérés. Chaque fois que nous nous promenions vers les quartiers extérieurs, qui gagnaient déjà les collines entourant Belfast, elle disait la même chose : « Quand j’étais jeune fille, ici c’étaient des champs partout. » La répétition nous faisait rire, mon frère et moi.
Elle parlait de la période trouble de la partition de l’île d’Irlande. « Quand je me rendais au travail, nous devions nous allonger sur le plancher du tramway, car on était entre la Falls » - artère catholique - « et la Shankill » - protestant - « et on tirait des deux côtés. »
Elle parlait d’un passé qu’elle ne regrettait pas, dont elle ne tirait ni vanité ni leçon pour nous ses enfants ; mais elle nous apprenait ainsi la notion du « temps avant » sans laquelle l’histoire de la Terre n’est que sèche analyse.
Elle avait ses histoires. Elle avait aussi ses habitudes, devenues celles de mon frère et moi, puis disparues avec notre génération. En automne nous sortions dans la campagne toute proche pour cueillir des mûres sauvages, dans des pots en verre avec une poignée en ficelle. Surtout, nous en gobions en chemin, car à la maison elles n’avaient plus le même goût, n’étaient plus sauvages. Au printemps, nous allions chercher des jacinthes des bois. « Ne prenez pas les racines, sinon elles ne repoussent pas. » Mais quel plaisir de tirer, doucement mais fermement, et faire sortir la longue tige blanche cachée dans le bulbe. Tant pis pour l’avenir. Nous en rapportions chacun une brassée, couchées et comme craintives, mais qui se ragaillardissaient dans l’eau des vases.
Parfois elle riait en racontant. « Mabel » - sa sœur – « et moi nous allions à un pique-nique. La mode était aux chapeaux de paille blancs cette année-là. N’en ayant pas, nous avons blanchi les nôtres avec de la chaux. Dans l’après-midi nous jouions au cricket, et chaque fois que Mabel donnait un coup de batte je voyais sa tête entourée d’un nuage blanc. »
Enfin, le tableau qui se dégage des autres. Partie en promenade au bord de la mer, jamais loin en Irlande, ma mère se trouve dans un café avec ses amies. Elles commandent du thé, des tartines, du beurre, de la confiture. Quand il faut régler les consommations, elles trouvent la note excessive. Elles paient. « Mais avant de quitter le café, nous avons mangé le sucre, ramassé les miettes, léché le beurre qui restait, avalé le lait dans la petite cruche. »
C’est cette vengeance qui m’émeut étrangement. Je pourrais disséquer l’étrangeté, la réaction à leur innocence, leur vulnérabilité. Mais je laisserai le mystère, en me rendant seulement à l’évidence qu’éprouver une telle tendresse jusqu’à la souffrance, c’est être capable d’amour.
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Jacinthe, jacinthe… oui mais jacinthe des bois ! Tes dessus fleuris attirent les promeneurs dans les sous-bois Certains t’admirent, s’enivrent de ton parfum D’autres te foulent aux pieds Ce n’est pas toi qu’ils viennent récolter, mais morilles qui valent argent ou muguet du premier mai, toujours plus cher Oh ! je sais bien que vous ne croissez pas au même moment Aujourd’hui, on n’est plus sûr ni du temps des jonquilles, ni du parfum des jacinthes…
En tous cas, toi, la jacinthe des bois, tu prolifères bien occupes ton terrain et tentes le coquin Pour ceux qui s’enhardissent à traverser ton parterre Attention au grand méchant loup qui peut se cacher derrière un tronc prompt à cueillir le Petit Chaperon Rouge ou encore l’Homme , le plus grand prédateur qui soit le méchant des polars et des actus, toujours à l’affût d’une jeune vierge
Jacinthe, je t’ai achetée chaque année Il faut le dire, plus riche et grasse chez le fleuriste Parfois j’ai choisi ta couleur d’autres fois j’ai préféré ne pas savoir ressentir le plaisir de te voir éclore dans ta robe rose, blanche, bleue ou violine
Et quand tu reprends corps au printemps bien plantée dans le jardin, Merci pour ta leçon de vie !
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Le Parc Saint Crépin : la sortie du dimanche le bassin aux poissons rouges le bruit des balles de tennis qui rebondissent sur les courts Le parc aux beaux arbres, avec à leurs pieds, des glands, des marrons Au fond le “théâtre de verdure” un plateau de gazon en haut de quelques marches Avec mon frère, on y jouait des scènes on passait derrière les rideaux de haie pour descendre dans les coulisses : le carré de sable en contrebas Comprenne qui pourra…
Souvenir plus récent, indélébile : la prison oh ! rien que cinq semaines Le temps d’une “préparation à la sortie” pour quelques pauvres filles abîmées par la vie, même pas encore jugées, Accusées, sans doute pas sans fondement, d’avoir transporté de la drogue piqué dans la caisse pour nourrir leurs enfants, laissé leur conjoint les violer ou le tuer quand il vous annonce, juste après l’amour, qu’il va retourner chez son ex… De toute façon, elles seront vilipendées pour avoir été logées, nourrie, blanchies pendant des années, aux frais du contribuable français
Quand il suffirait pour les réinsérer et coûter moins cher à la société de les aider à réaliser leur rêve Créer une petite épicerie de quartier un salon de beauté pour peaux noires, travailler, et pas au black
Mais non, elles en prendront pour des années sortiront avec la haine, survivront grâce à la prostitution et leurs enfants seront déjà délinquants. J’aurai participé à ce gâchis contre un piètre salaire et je n’en suis pas fière
Survivra en moi, avec le souvenir des filles, le bruit des sept grilles à franchir pour entrer et sortir L’angoisse dans le sas quand la porte de derrière se referme tandis que celle de devant tarde à s’ouvrir, et sur le macadam, le son de mon pas pressé pour réintégrer le bus dans lequel je pouvais, moi, programmer le cours de ma soirée
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Regarde bien petit,… ces clochettes bleuissant le sous-bois, ces troncs d’arbre se couvrant de leur parure verte d’été… Ils donnent envie d’avancer sous la voûte des branches, de fouler le tapis de mousses…
Ecoute bien petit,… Entends-tu les merles qui se chipotent, le coucou du mois d’avril, le glissement de la brise sur les feuilles…
Respire cette tranquillité qui passe sous la frondaison ; chaque chose est à sa place. Tu foules le sol, il est souple sous tes pas, les mousses absorbent le bruit de tes bottes, quelques brindilles craquent et rompent le silence…
J’ai vécu ici d’autres paysages, d’autres fureurs, d’autres apocalypses. Ici dans un horizon de guerre, je voyais des arbres qui dressaient leurs bras lamentables, inutiles, décharnés ; pas de verdure ; des amas de fil de fer rouillés, des rails, du matériel tordu, déchiqueté, informe…
Et cette terre labourée par les obus, dans un vacarme infernal, du sol jaillissaient des protubérances noires, comme des bouffées qui se développaient, montaient lentement au ciel et s’étalaient en éventails ou en panaches monstrueux.. Jamais la forge infernale ne s’arrêtait…
Les journées s’écoulaient dans cet horizon secoué par les coups brusques donnés par les obus tombant sur les lignes et les boyaux.. Lorsqu’il pleuvait les tranchées étaient des ruisseaux de boue dans lesquels on s’enlisait…
En regardant ce paysage si calme tu ne peux pas imaginer l’enfer que les hommes ont vécu ici.
Mais d’autres hommes sont venus. Ils se sont attachés à redonner vie à cette terre : il a fallu arracher les carcasses de fer, déminer les obus, reboucher les cratères. A chaque printemps revenu, la nature a lancé sa vigueur, les taillis ont refait racine, pansant les plaies de ces sols bousculés, ensanglantés, martyrisés… Il en a fallu des années à ces hommes pour refaire une surface reposante, alors qu’en une nuit le feu des canons et des avions bouleversait ce paysage…
Souviens-toi petit,…détruire a été très vite et a conduit à l’enfer, derrière construire a demandé beaucoup de patience et de ténacité, mais nous donne, maintenant, le bonheur de ce sous-bois.
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Un homme vêtu d’un pantalon sombre et d’un chandail vert émeraude, sans veste, dépourvu d’un quelconque papier d’identité, muni juste d’un sac de toile en bandoulière s’avança un peu plus profond dans le bois.
Gérard mit la main dans son sac de toile et serra la corde. La réalité palpable du chanvre ranimait ses arguments. En arrivant devant le parterre de jacinthes sauvages, il ne put s’empêcher de sourire : oui cet endroit était vraiment idéal. L’attention des éventuels promeneurs ne manquerait pas d’être attirée par les fleurs plutôt que le gros chêne sombre en arrière plan. Peu de chance qu’ils ne le retrouvent avant longtemps. Juste ce qu’il voulait…Disparaître discrètement de cette vie en laquelle il ne croyait plus.
Des semaines qu’il cherchait son arbre. Contrairement à ce que l’on croit, la pendaison n’est pas simple, surtout pour un quinquagénaire de quatre vingt kilos !
Il passa au dessus des jacinthes en veillant à laisser le moins de trace possible et atteignit le chêne. Il s’assit quelques minutes sur le tapis de mousse qui se répandait au sol. Dans un frémissement le buisson de buis le plus proche sembla s’animer. Une silhouette qui paraissait humaine mais au visage indistinct, flotta devant lui. Gérard eut du mal à maintenir ses yeux dans cette direction tant la lumière qui émanait de la forme était forte.
Il entendit des mots se former dans son esprit et ressentit instantanément une sensation de paix extrême comme s’ils dégageaient des ondes fulgurantes de bien être. En fait ce n’étaient pas des mots qu’il recevait mais plutôt un flot d’images et d’émotions que son cerveau conditionné cherchait à nommer. Contrairement à ce qu’aurait fait n’importe quel être humain l’apparition ne posait pas la question fatidique du « pourquoi » à Gérard. De toute façon puisqu’elle avait accès à son esprit, elle devait bien « savoir » les nombreuses raisons de son choix.
L’être lui offrait des images de paix et de beauté du monde : le bleu métallique inimitable du plumage de certains oiseaux, la beauté d’un quator à corde, l’émotion à la vision des premiers pétales de l’année à la sortie des perce neige, le parfum de Marguerite, la finesse du flot des bulles d’un Dom Pérignon, le velouté de la peau du nouveau né, le courage et l’abnégation dont l’homme sait faire preuve en Amour, la générosité en Amitié….
Que cherches-tu à me dire ? Questionna muettement Gérard…
L’être se rapprochait de lui, éclatant de lumière
Les images continuaient de se déverser en vagues ininterrompues : La main d’un petit enfant qui se tend, la chaleur d’un rayon de soleil sur la peau, le goût du sel d’un baiser amoureux en méditerranée, l’arôme d’un civet de lièvre, la force du brâme des cerfs dans le brouillard du petit matin, la puissance du désir au frôlement de la peau nue d’un premier amour, la beauté d’une tulipe qui s’exhibe aux premières lueurs du printemps…
Impossible de quitter ce monde qui recèlait de tant de trésors.
Gérard n’eut plus du tout envie de mourir…
Etait ce Marguerite ? Son épouse adorée morte bien des années auparavant, qui se manifestait ainsi à lui ?
Impossible de déterminer le sexe de cette silhouette. Sans doute un ange, pensa Gérard. je communique avec un ange! S’émerveilla-t-il.
Et c’est ainsi, dans cette extase et dans cette volonté énorme et soudaine de vivre, qu’il sentit la corde se serrer autour de son cou par ce qui n’était malheureusement qu’une des nombreuses apparitions du diable. La lutte fut terrible et la souffrance de Gérard délectable pour le démon.
Un homme vêtu d’un pantalon sombre et d’un chandail vert émeraude, sans veste, dépourvu d’un quelconque papier d’identité, muni juste d’un sac de toile en bandoulière, pendu à la branche d’un vieux chêne, fut retrouvé par des chasseurs. La vision du visage tétanisé par la terreur hantera longtemps leur mémoire.
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Alors en ce lieu nommé Har-Maguédon aura lieu le déversement des sixième et septième bols contenant les dernières plaies qui mèneront à son terme « la fureur de Dieu »
Bible ; Livre de l’Apocalypse
(chapitre 6 verset 12).
4 avril 2030 : Mission Internationale d’exploration de l’Europe Occidentale.
L’équipe des chercheurs qui arpentaient le bois de Concrois, près de ce qui avait été autrefois le village de Chacrise, était surtout composée d’africains et d’asiatiques. Leurs pays avaient été moins affectés que l’Europe et les Etats-Unis par l’impact du météorite tueur tombé au milieu de l’océan Atlantique. On l’avait baptisé « Armageddon » en référence à un ancien film catastrophe et à un verset de la Bible évoquant la fin du Monde. Un français s’était adjoint au groupe, lui apportant sa connaissance de l’ancienne langue et celle des coutumes locales.
C’est lui qui mit à jour l’entrée de la cave ensevelie sous les gravats d’une maison du village.
Ils regardaient avec émotion l’un des quelques endroits où les survivants de la catastrophe avaient vécus, terrés comme des rats dont ils avaient d’ailleurs fini par imiter le comportement avant d’en faire leur nourriture.
A côté d’un squelette qui gisait sur un matelas en décomposition il y avait, enfermé dans une pochette plastique étanche, un épais cahier à la couverture cartonnée bleue.
10 avril 2030 : Moscou. Centre de Recherches Historiques pour l’Europe Occidentale
Ouvert avec précaution, photographié entièrement page après page, le cahier bleu fut confié au français qui avait participé à la mission pour qu’il le traduise.
En voici les passages principaux. Ils apportent une contribution majeure à la connaissance des conditions de vie et à l’état d’esprit des survivants.
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Jour J+1 après l’impact.
Je commence ce cahier aujourd’hui, 21 mars 2010, jour de mon soixantième printemps. Je consacrerai à sa rédaction un peu de temps chaque jour pour décrire ma nouvelle vie.
La semaine dernière, après que les autorités aient fini par avouer que l’impact était inévitable et invité la population à trouver un abri, j’ai aménagé la cave située sous mon domicile.
J’y ai transporté plusieurs bidons d’eau, 4 sacs de pommes de terre, du sucre, du sel, des gâteaux secs, sans oublier ce cahier et une dizaine de stylos à bille.
J’ai plusieurs lampes électriques sans pile (qui se rechargent à la force du poignet). J’ai aussi ressorti de l’armoire mon vieux fusil de chasse et une centaine de cartouches. La machette que j’ai ramenée d’une expédition au Brésil peut m’être utile dans une nature hostile.
Hier, vers midi, heure prévue de l’impact, je guettais le ciel lorsque je vis une lumière vers l’ouest. Elle alla croissant en intensité jusqu’à une sorte de flash gigantesque qui illumina tout l’horizon. Le bruit ne vint que longtemps après, vers 3 heures de l’après-midi. Il fut suivi d’un tremblement de terre qui dura plusieurs minutes. Ensuite se leva une tempête comme je n’en avais jamais vue. Sous la pression du vent mes oreilles me faisaient atrocement souffrir. Je passais prudemment la tête par l’ouverture de la cave. Ma maison n’était plus qu’un amas de gravats.
…
Jour J+7
Le vent s’est un peu calmé. Le ciel est chargé de nuages noirs et il fait presque nuit alors qu’il est midi. La température a brusquement chuté et les flaques d’eau ont gelé. Je me suis hasardé dans les ruines de ma maison pour en extraire des couvertures et des pulls. Trouver du bois pour faire du feu n’a pas été difficile mais j’ai des scrupules à brûler mes anciens meubles que j’adorais.
…
Jour J+15
La neige est tombée toute la nuit et recouvre maintenant le paysage lui donnant presqu’un air de carte postale, si ce n’est qu’aucune maison ni aucun arbre ne viennent l’agrémenter. Le silence est total, seulement interrompu par le craquement des branches qui cassent sous le poids de la neige.
…
Jour J+120
Nous devrions être en plein été. Il a plu sans arrêt pendant une semaine. La pluie vient de s’arrêter et j’observe le ciel. Mon Dieu, est-ce possible ? J’ai entrevu pendant un court instant un peu de ciel bleu entre les nuages. Je ne pensais pas que je pourrais être aussi ému à la vue de cela. Ce qui m’attriste est qu’on n’entend aucun chant d’oiseaux. Ils semblent avoir tous été tués par la tempête.
La nourriture commence à manquer. Heureusement je n’ai pas de problème d’eau. Des rats sont apparus dans ma cave. Ils avaient l’air agressif. J’en ai tué deux à coups de machette et je les ai fait griller au feu de bois. Cette première viande que je mange depuis des mois m’a redonné du courage et de l’énergie.
…
Jour J+267
Aujourd’hui j’ai vu les premiers êtres humains depuis la catastrophe. L’homme m’a dit qu’ils venaient de l’Ouest. Il était au dernier sous-sol du parking d’une grande surface quand la tempête s’était levée. La femme avait sa voiture garée juste à côté de la sienne. Ils ne s’étaient pas quittés depuis. Je leur dis que je ne pouvais pas les accueillir dans mon abri et que de toute façon il n’y avait pas assez de vivre pour trois. La femme se fit un peu aguicheuse et je dus faire un effort pour résister, tant la solitude me pesait. La vue de mon fusil calma les velléités agressives de l’homme et ils sont partis vers l’est à travers les ruines du village dans lesquelles je les avais encouragés à rechercher un abri comme le mien.
…
Jour J+300
La femme est de retour. Son compagnon, parti en expédition de chasse, n’est pas revenu depuis une semaine. A moitié morte de faim elle a retrouvé le chemin de mon abri. Finalement on essaiera de se débrouiller mais la solitude me pèse trop, il faudra que je capture plus de rats. Il y a aussi des sangliers dans les bois. J’irai la nuit avec une lampe électrique et j’essaierai d’en tuer un. Cela nous assurerait deux ou trois semaines de viande.
…
Jour J+350
Le ciel est maintenant clair. Il fait froid mais il ne neige plus. Bientôt, dans ce qui était le « monde d’avant », ce sera le printemps, l’époque où la nature revit. C’est maintenant la question qui me hante. Elle m’importe plus que celle de manger, plus que celle de mon propre sort. Le monde survivra-t-il ? Chaque jour je parcours le paysage dévasté en quête de nourriture et j’observe le sol pour y déceler des traces de végétation. Il fait sans doute encore trop froid.
…
Jour J+365
Voilà exactement un an que l’Apocalypse s’est abattue. Claire est moi formons maintenant un vrai couple. Au départ il y avait cette méfiance qu’éprouvent deux animaux affamés qui se retrouvent en compétition sur le même territoire de chasse. Maintenant c’est fini et nous allons jusqu’à nous céder les meilleurs morceaux de nourriture. Dehors, au soleil enfin revenu, il fait presque bon. Demain je pousserai jusqu’à la lisière du bois de Concrois, sur le versant sud le mieux exposé.
…
Jour J+366
Dieu soit loué. Je suis tellement ému que je n’arrive pas à rassembler mes pensées. Lorsque je suis arrivé à l’orée de la forêt j’ai découvert un tapis de verdure ! J’avais oublié la couleur verte de l’herbe tendre. Et, suprême miracle, sur le tapis végétal il y avait une multitude de petites fleurs violettes et jaunes : des jacinthes sauvages. Je suis tombé à genoux, le front touchant le sol, et j’ai remercié Dieu. La vie est revenue. Peu m’importe maintenant que je meure puisque l’humanité survivra.
Je suis retourné dans l’après-midi avec Claire pour lui montrer la merveilleuse découverte. Sa figure était baignée de larmes et elle a caressé les fleurs, résistant à l’envie d’en cueillir une. Finalement elle m’a demandé mon cahier et plusieurs crayons.Voici le dessin qu’elle a fait des nouvelles jacinthes du bois de Concrois. Elle me l’a offert et jamais je n’ai eu de plus beau cadeau.

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12 avril 2030 : Moscou. Centre de Recherches Historiques pour l’Europe Occidentale.
Le journal se terminait ainsi. Les chercheurs avaient encore beaucoup de travail pour dépouiller l’ensemble des documents qu’ils avaient rassemblés. Jean sortit de l’institut et se dirigea vers son appartement. En chemin il traversait, comme chaque jour, un parc aménagé au coeur de la ville. L’allée qu’il empruntait serpentait dans un sous-bois. Soudain, son regard fût attiré par des petites tâches de couleur qu’il remarquait pour la première fois : c’était des jacinthes sauvages ! Etait-ce un clin d’oeil de l’inconnu du bois de Concrois ?
Jean : chercheur au CRH-EO
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