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isolella

 

Le golfe d’Ajaccio, une des plus belles baies du monde, est composé de quatre sous-ensembles, chacun d’eux comportant un cap sur lequel se dresse la sentinelle d’une ancienne tour génoise. En partant d’Ajaccio on trouve successivement Porticcio, Isolella, Castagna et Muro, ce dernier cap fermant au Sud un grand golfe dont l’entrée Nord est constituée par les iles Sanguinaires.

Le cap d’Isolella est un amas de blocs granitiques qui ressemblent à des navires échoués, ce qui l’a fait surnommer « la punta delle sette nave » car la légende raconte que sept navires d’envahisseurs mauresques y ont été pétrifiés par la Vierge Marie.
Lorsque le Mistral souffle, venant du « continent », des promeneurs viennent se hisser sur les grands rochers, le regard vers l’horizon, comme hypnotisés par la répétition des grandes vagues déferlantes. Dans leur tête remontent les souvenirs de poèmes anciens : « Homme libre toujours tu chériras la mer » ou ceux du terrible « oceano nox » de Victor Hugo.

Laura habitait le petit port niché entre le cap d’Isolella et la grande plage d’Agosta qui attire plus les touristes que les austères rochers des Sette Nave. Elle avait vingt ans. Son teint hâlé par le soleil corse mettait en relief ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Tous les jeunes de Porticcio la connaissaient. Lycéens à Ajaccio, ils avaient fréquenté « Le Club » à Porticcio, dégustant des glaces italiennes à la sortie des cours et, plus tard, dansant au night-club « U Paradisu ». Beaucoup de garçons lui faisaient la cour mais elle ne se fixait avec aucun, papillonnant de l’un à l’autre avec son sourire éclatant. Puis vint un jour où elle cessa de fréquenter le groupe des copains de Porticcio. Un corse de Bastia, Xavier, avait conquis son cœur. Le couple semblait heureux. On les voyait quelquefois se promener sur le cours Napoléon à Ajaccio ou attablés « au Glacier du Port », en face de la Citadelle. Xavier possédait une moto et c’est avec elle qu’il emmenait Laura sur les routes de la région, vers le vieux pénitencier de Coti ou les plages de Propriano.
Xavier avait un défaut : il aimait boire ! Il avait ce qu’on appelle « le vin mauvais », c’est-à-dire qu’il devenait violent et incontrôlable. Une nuit pendant laquelle il lui avait semblé que Laura avait dansé un peu trop souvent avec le même garçon, il avait entrainé la jeune fille chez lui et une violente dispute avait éclatée. Ivre d’alcool, de jalousie et de rage, il l’avait frappée à mort.

La foule qui se pressait devant la petite église de Porticcio témoignait de l’affection que les gens portaient  à Laura et aussi l’horreur pour le crime commis. Le procès eu lieu sur le continent, aucune juridiction locale n’ayant pris le risque de voir se dérouler un procès à haut risque sur le sol corse.
Xavier fût condamné à 10 ans de prison. En réalité, compte tenu d’une loi non écrite mais toujours très présente en Corse, Xavier était condamné à mort en vertu de la coutume ancestrale de la « vendetta ». La seule question était : « quand » et « par qui » ?

A sa sortie de prison, après cinq ans passés aux Baumettes, Xavier s’était installé dans le nord de la France, à Soissons. Un retour sur sa terre natale équivalait à une mort certaine. Il avait fait une demande de changement de nom  mais la procédure semblait anormalement longue.

Un soir, en rentrant du travail, il trouva dans sa boite aux lettres un colis postal. De nombreux timbres  et cachets semblaient attester qu’il s’agissait d’un banal colis déposé par le facteur. En réalité l’expéditeur, qui  avait longtemps travaillé à la Poste d’Ajaccio, avait agrémenté le colis de tout ce qu’il fallait pour lui donner un air authentique. Toutefois ce colis n’était jamais passé par le circuit postal. Son expéditeur n’aurait jamais pris le risque de tuer un brave collègue postier !

La dernière vision de Xavier dans ce monde fut la photo de Laura, placée juste sur le dessus de la boite où se trouvaient les deux kilos d’explosifs.  Sur la photo il y avait écrit en lettres d’un rouge qui rappelait le sang : « non scurdiamo mai » : nous n’oublions jamais…

 

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Frères Humains qui passez devant ma cage vitrée, ayez pitié de moi !

Pourquoi suis-je là, devant cette femme en plastique, exposé à vos regards craintifs et dégoutés ? C’est une longue histoire que je vais vous conter, ou plutôt vous transmettre, car je suis un expert en transmission de pensées.

Vous voyez les deux bosses sur le devant de mon crâne ? C’est à cela que ça sert !
Vous ne connaissez pas ce mode de communication, ou alors vraiment rudimentaire, au niveau de celui de nos nouveaux nés, tout juste capables de transmettre la crainte, la peur ou la joie…

Bon… résumons ! Il y a deux années de votre calendrier terrestre, je parcourais ce bras de la Galaxie qui abrite votre Soleil, quand mon vaisseau se trouva à court de carburant.
La région est assez pauvre en planètes habitées. On est loin de la richesse des mondes d’Andromède ou Cassiopée ! Mes indicateurs de bord signalaient que seule cette vilaine planète aux couleurs bleue, appelée Terre,  possédait des êtres vivants. Obtenir quelques kilogrammes d’uranium dans les mondes du Centaure, à quelques années lumières d’ici,  aurait été l’affaire de quelques jours, mais ici sur Terre c’est une autre histoire. On me demande d’ACHETER ce carburant, et ceci en violation avec les règles habituelles de savoir-vivre galactique ! Bien sûr j’ai tout de suite été une vedette, passant à la télévision, interviewé par les journalistes du monde entier (enfin ceux de la Terre…) Il y a eu même un dénommé Spielberg, producteur de films, qui est venu me rendre visite et qui m’a montré un film sur un de mes congénère. Le film s’appelle E.T- je crois-  et raconte les mésaventures d’un collègue égaré comme moi sur cette planète xénophobe. Enfin, le film se termine bien, mais pour moi je ne suis pas encore tiré d’affaire !

La somme que je dois réunir pour acheter l’Uranium est énorme ! Après m’être fait rémunérer pour les émissions de télévisions qui ont suivies mon arrivée, la curiosité a diminué et les rétributions correspondantes aussi. Comme je ne sais rien faire de mes huit doigts (oui je suis DIFFERENT…), j’ai été obligé de miser sur la vente de mon « image ».

Il y a des tas de bizarreries sur ce Monde.
Entre autre la MODE ! C’est un concept inconnu chez nous. Il consiste à imposer au plus grand nombre des habitudes conçues par un petit groupe de « publicitaires » excentriques. J’ai été contacté par l’un d’eux, un italien dont j’ai oublié le nom : « Panzani » ? … je ne suis pas sûr… peut être « Armani » ? En tout cas il m’a fait un pont d’or pour m’exposer dans cette vitrine de New-York.
Avec cet argent je pourrais avoir mes dix millions de dollars à la fin de l’année.

En attendant, tous les matins j’intègre ma vitrine dans laquelle est exposé un mannequin en plastique habillé par les vêtements hors de prix  du modiste italien, paré par les bijoux d’un autre artiste français et chaussé par un bottier américain.

Devant la foule des badauds ébahis je bouge vaguement, désignant l’icône de la Mode de mon doigt, clignant des yeux quand éclatent les flashes des photographes.
C’est qu’on  vient de loin pour me voir ! Tenez cette jeune fille, là… avec son tee-shirt noir et les mots «  Imc900432600 NYC » écrits dessus… elle vient de SOISSONS, de l’autre côté de l’océan !
Allons, courage ! Je redresse la tête, cligne des yeux et grimace un sourire à cette Maëva venue de si loin.

Je suis heureux parce que dans exactement 153 jours j’aurais enfin l’argent pour acheter le carburant.

 

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L’expression « vendre son âme au diable » est encore très utilisée de nos jours.
Il est vrai que le spectacle de nos hommes politiques n’est pas prêt de nous la faire oublier !
Mais laissons là toute polémique et voyons pourquoi les hommes éprouvent soudain l’envie de pactiser avec un démon.

Un jour l’homme prend conscience qu’il est mortel !

Dans le silence de la nuit, le docteur Faust n’arrive pas à dormir malgré l’heure tardive. Le docteur Faust réfléchit. Il lui reste tant de choses à faire…
Ranger son laboratoire, revoir son frère qu’il n’a pas vu depuis des années, finir le tableau qu’il a commencé et qui traine depuis un mois sur son chevalet…

Et puis…

Il y a la jeune Marguerite, la serveuse du bar de la gare. Il aimerait bien la parer de bijoux… et même, la posséder… mais ne rêvons pas, il est trop vieux  et trop pauvre!

Et puis il est passionné d’astronomie. Savoir si une vie extra-terrestre existe, voilà une question essentielle. Aura-t-il le temps d’avoir une réponse avant sa mort ?
Alors c’est simple : concluons un pacte avec le diable.

Qu’a-t-il à y perdre ?

Pas grand-chose… son âme, c’est-à-dire une vie éternelle hypothétique au milieu d’Anges asexués.
En revanche : il y gagnera : la Gloire, la Richesse, la Connaissance et l’Amour. Comment hésiter ?

Chacun d’entre nous n’a-t-il pas eu à se poser la question ?
Le Moyen-âge a condamné Faust. Les romantiques -Goethe en tête- l’ont réhabilité.

Aujourd’hui il reste en France des centaines de « Ponts du Diable ». Tous ont été construits -selon les légendes- avec l’aide du Malin.  Je ne sais pas si les constructeurs rôtissent dans les flammes de l’Enfer mais ce qui est certain c’est qu’ils ont gagné la renommée de la postérité.

Il y a plusieurs façons de vendre son âme au diable… Il y a la théâtrale - avec un Belzébuth décoratif (cornes, queue fourchue, sabots, etc) et d’autres plus anodines.
Ici le « pacte » est moins clinquant et les termes de l’échange moins impressionnants : une Légion d’Honneur contre une place pour son épouse, un permis de construire accordé contre une bonne place sur une liste électorale, les exemples sont nombreux.  C’est pourquoi l’expression « vendre son âme au Diable » n’est pas prête de s’éteindre malgré la disparition apparente de son instigateur principal : le Diable.

 

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Regardez ce bel et grand oiseau ! Ses plumes sont d’un rouge éclatant. Pour l’instant il est au repos sur le sol et il forme, vu d’en haut, comme une grande fleur rouge éclose au milieu de la prairie.
Il déploie ses ailes et les secoue dans un simulacre d’envol pour s’assurer de leur force retrouvée.
La pluie a cessé, laissant derrière elle de petites flaques d’eau et dans l’air une odeur de forêt vierge.

Soudain, entre deux gros nuages, le soleil apparait, cercle d’or éclatant, éclaboussant de sa lumière le plumage de l’oiseau de feu.

Voila l’instant que je préfère dans ce mythe du Phénix : celui où l’oiseau vient de renaitre de ses cendres. Il est là, un peu maladroit encore, comme un nouveau né qui effectue ses premiers pas.
Il tourne sa tête vers l’astre solaire et se souvient de tout ! Il a vécu cette situation un nombre incalculable de fois. Il sait que, s’il garde ses ailes déployées, le soleil va sécher ses plumes encore humides. Alors il s’envolera vers Lui. C’est son But, son Rêve, son Destin, son unique ambition : atteindre cet astre qu’il sait pourtant inaccessible !

Le mythe du Phénix, comme celui de Prométhée (qui déroba le feu aux dieux) a fait beaucoup de petits en littérature depuis l’Antiquité. C’est le héros romantique par excellence, en révolte contre le sort qui l’accable. Comment ne pas l’aimer ? C’est Don Quichotte, le comte de Monte Cristo, Cyrano de Bergerac ou celui de Faust vendant son âme au diable. C’est un mythe qui nous rattache à la notion de sacrifice : celui où l’Amour l’emporte sur la Raison.
Ce qui rend admirable notre « oiseau-héros » c’est qu’il a conscience de ses actes. C’est pourquoi  il est un héros. Sinon il serait un fou qui n’aurait pas prévu la conséquence de son acte.

En matière de mythes on trouve de tout et chacun a son contraire.
Prenez celui de Sisyphe : pour une raison indéterminée, cet homme a été condamné à remonter un énorme rocher au sommet d’un colline, puis, après l’avoir fait dévaler la pente, recommencer «  éternellement ».
Albert Camus a rédigé un essai en 1942 intitulé « le mythe de Sisyphe ». Il décrit ce qu’on nommera après lui un « anti-héros », préfigurant le personnage qu’il mettra peu de temps après dans son célèbre roman « l’Etranger ».

« Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas » dit Meursault au tout début du roman. Notre moderne Sisyphe a perdu la notion du temps, brouillée par la répétition et la banalité des actes de la vie quotidienne.

Ainsi le mythe de Sisyphe semble opposé à celui du Phénix : Héros romantique contre anti-Héros d’un monde absurde.
Personnellement je crois qu’il y a une similitude à peine cachée, en dehors du caractère répétitif de leur existence. J’en ai trouvé la confirmation dans la description de l’instant préféré par Camus. Il se situe pendant le retour vers le pied de la colline où l’attend le rocher. C’est là que Camus dit s’intéresser le plus à Sisyphe.

«Je vois cet homme redescendre d’un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s’enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher.»

Car, en vérité, Sisyphe, comme Phénix, s’attache  à son idéal. Tous deux assument leur destin héroïque. L’un aspire au divin et à l’élévation, l’autre - plus humain - n’a d’ambition que d’accomplir son travail d’homme et remonter son rocher au sommet de la colline.
Ainsi en nous se manifeste tantôt l’un, tantôt l’autre de nos deux héros, chacun prenant tour à tour le dessus. Et c’est notre raison qui veille à un juste équilibre entre eux, entre Idéalisme et Matérialisme, entre Résignation et Révolte.

Jean

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Ancienne chaussée romaine

Ancienne chaussée romaine

L’accélération des découvertes scientifiques et l’omniprésence dans nos vies quotidiennes des objets qu’elles ont produits (Automobile, Télévision, Ordinateur) peut donner l’impression que le monde romain, comme celui de Sénèque auquel est consacrée l’exposition de la Bibliothèque de Soissons, est très éloigné du notre. Or la lecture des philosophes grecs ou romains nous montre une proximité de pensée qui nous surprend. Rien d’étonnant à cela : au sens de l’évolution biologique, les deux mille ans qui nous séparent de l’apogée de l’empire romain ou grec ne représentent qu’un instant infinitésimal.
Certes les informations accumulées dans les têtes de nos enfants ont une diversité et une étendue plus grande que celle des petits romains, mais l’aptitude au raisonnement, la réflexion, l’intelligence en somme, n’ont pratiquement pas évoluées.
C’est la raison pour laquelle la philosophie de Platon ou de Sénèque,  leurs enseignements sur l’économie ou la condition humaine nous semblent si proches et sont constamment étudiées encore de nos jours.
La raison en est que  les principales préoccupations humaines demeurent inchangées : le Bonheur, la Vie, l’Amour, la Richesse.

Je me souviens du village minier de l’ouest tunisien où je revenais régulièrement aux grandes vacances rejoindre mes parents après mes études à Tunis. Le lieu s’appelait Garn Halfaya, ce qui, en arabe, veut dire approximativement : « la pointe de l’alfa ». Ce nom provenait de cette herbe filamenteuse qui recouvrait la steppe semi-désertique, herbe qui ondulait au gré du vent comme des vagues de cheveux blonds parcourant les vastes paysages jusqu’aux confins du désert saharien.
A la sortie du village il y avait les restes d’une ancienne ville romaine. J’aimais me promener dans ses  rues. Les murs des maisons ne s’élevaient plus qu’à une cinquantaine de centimètres mais on devinait le plan des pièces et on repérait facilement le seuil des portes d’entrée à la grande pierre de taille qui le composait. Avec un peu d’imagination - mais quel enfant n’en a pas - on côtoyait les fantômes des anciens habitants vacant à leurs occupations.
Après les pluies je découvrais souvent des pièces de monnaie au milieu des habitations. Je les nettoyais au jus de citron et déchiffrais les noms des empereurs romains dont les noms étaient « Maximus » ou « Phillipus ». Je recherchais dans les dictionnaires leurs histoires, violentes et souvent courtes. Assis sur les vieilles pierres, dans le silence qui n’était rompu que par le chant des alouettes enivrées de soleil, je méditais sur la fragilité des empires. Cette proximité « physique » avec les restes de l’Empire romain m’a aidé par la suite à mieux pénétrer dans la lecture des récits anciens. Nous sommes plus sensibilisés aux évènements qui se passent dans un endroit qu’on connait. Ne vous sentez-vous pas plus concernés parce que c’est  au coin de votre rue que tel ou tel évènement s’est produit ? C’est l’impression que j’avais quand je lisais Sénèque ou Plutarque. Et que dire de Saint Augustin, né dans un village situé à quelques dizaines de kilomètres seulement de la mine de Garn Halfaya ? C’était quasiment un compatriote pied-noir !

Ainsi nous aimons ce que nous connaissons et à l’inverse nous repoussons ce qui nous est étranger. N’est-ce pas là la source de la xénophobie ? Je repense au thème de l’immigration, qui a donné lieu à une exposition récemment. Ce Sénèque, né à Cordoue et mort  à Rome, et Saint Augustin né à Souk-Ahras, mort à Sousse, illustrent mes propos d’alors : le goût de la découverte et la migration pour la satisfaire sont un désir fondamental  de l’Homme. Nos lois locales peuvent s’y opposer temporairement mais l’Histoire de l’humanité est aussi celle de ses migrations.

 

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Un vieil adage dit que « l’arbre cache la forêt ». On peut dire que notre question franco-française sur l’immigration, qu’elle soit évoquée par les gens ordinaires ou la classe politique, relève de cet aveuglement.  Obnubilés par la stigmatisation qu’on en fait : surpeuplement d’immigrés dans certains quartiers, abus ( ?) d’utilisation de nos prestations sociales diverses, comportements ethniques, nous refusons de voir que l’immigration est un phénomène sociologique profondément inscrit dans les comportements de l’humanité, voire dans ses gènes.

Le grand (l’immense) Fernand Braudel a écrit, bien avant que le mot « identité » ait été utilisé dans le sens étriqué que lui donnent nos hommes politiques, un ouvrage d’un millier de pages intitulé : « l’identité de la France ». S’étendant sur quatre millénaires, il montre l’extrême diversité qui a formé ce que d’aucun voudrait simplifier et regrouper sous le vocable « identité ».

Certes la couleur noire d’une peau est facile à distinguer et catalogue immédiatement son porteur dans la catégorie des immigrants africains mais qu’en est-il de celui-ci : peau blanche mais très mate, cheveux noirs profonds, nez allongé ? On peut imaginer que ces « arabes »de type « sémite » que notre Charles Martel (ce nom a été utilisé par des groupes xénophobes d’extrême droite) a vaincu à Poitiers ont du laisser quelque descendance.  C’est là une des premières formes d’immigration : celle des invasions consécutives aux conquêtes guerrières. Pas la plus ancienne toutefois… Il y a près d’un million d’années, lorsque les conditions climatiques de la vallée du Rift africain de sont durcies, les peuples d’hominidés qui vivaient paisiblement de la cueillette de baies dans la forêt ont du émigrer. Cette fuite les a amenés aux confins du monde, à des milliers de kilomètres. Cela peut sembler incroyable mais songez qu’un simple déplacement de 10 kilomètres par an vous fait faire plusieurs fois le tour de la terre sur l’étendue des temps préhistoriques (dizaine ou centaine de milliers d’années). L’homme de Neandertal, installé paisiblement en Europe, n’y a pas résisté. On ne sait pas encore aujourd’hui s’il y a eu éviction ou assimilation, car l’interfécondité entre « Homo sapiens » et Neandertal n’est pas démontrée. Ce qui est sûr c’est que les deux cent mille ans qui ont précédé leur « extinction » sont une durée immense comparée à notre temps historique ! Posez vous simplement la question : que sera le paysage français dans cent mille ans ? Y aura-t-il encore des « banlieues » ou la population noire est ghettoïsée, ou bien à l’inverse la population blanche s’y sera-t-elle réfugiée ?

Le « capitalisme » a inventé une autre forme d’immigration. Les « Etats-Monde » (je reprends le terme utilisé par Braudel) ont eu besoin de main-d’œuvre pour faire face à leur développement économique (Etats-Unis, Europe,  Russie tsariste). Pour répondre à ces besoins ils ont importé massivement des immigrés. Ce sont les restes de ces vagues qui nous perturbent aujourd’hui.

Je suis désolé de vous avoir ennuyés et amenés si loin dans l’espace et le temps pour vous parler d’un sujet somme toute aussi banal que celui de l’immigration. Vous auriez pu profiter d’une jolie nouvelle racontant comment mes ancêtres croates émigrèrent vers la République de Venise  dans le quartier ghetto des « Schiavoni », c’est à dire des Esclaves , puis en Afrique du Nord à la recherche d’un Eldorado qu’ils n’ont pas trouvé avant de se fixer en France ajoutant une facette supplémentaire à cette identité française… C’est que je suis fait comme cela : toujours je balancerai entre ces désirs complémentaires de la « grande » et de le « petite » Histoire, celle des hommes en général et celle d’un individu.

 

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Paysage de mon lieu de naissance

 

Je suis né sur les rives du « lac » de Tunis. C’est ainsi qu’on appelait cette lagune littorale formée par les alluvions du principal fleuve tunisien (la Medjerda). Le débouché sur la mer se fait au port de « la Goulette », célébré par l’écrivain Serge Moati ou l’actrice  Claudia Cardinale (j’étais copain avec son frère…) A l’époque de ma naissance la lagune venait s’échouer dans une banlieue industrielle et insalubre qui concentrait dans un périmètre très réduit un grand nombre d’industries polluantes : cimenterie, usine de production de phosphates, distillerie d’alcool, abattoirs, hauts-fourneaux ! C’est là que je suis né, et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 11 ans.
(Je joins ci-dessus la photo de ce paysage “pittoresque”!)
Quelque soit la direction du vent nous étions assurés d’avoir un parfum différent… Le « lac » lui-même, dont la profondeur n’excédait pas un mètre, finissait en marécages nauséabonds. Souvent, au printemps, quand les eaux commençaient à se réchauffer, le fond dégageait un gaz odorant et mortel pour les poissons : du méthane.  Ces poissons mouraient alors en masse et flottaient, innombrables sur la surface ou sur les rives, pourrissant au soleil. Seules les anguilles, dans un réflexe salvateur, venaient ramper sur le rivage, comme des serpents d’apocalypse, où des pêcheurs occasionnels et peu scrupuleux venaient les ramasser par sacs entiers pour les vendre au marché de Tunis. Plus discret, sévissait aussi un terrible moustique : l’anophèle. La femelle se nourrit de sang qu’elle vient prélever sur les animaux et les humains. Elle transporte occasionnellement une maladie : le paludisme. Les personnes fragiles, enfants ou vieillards, y succombent parfois, épuisés par de terribles accès de fièvres. Je n’y échappai pas. Aussi longtemps que je m’en souvienne j’ai souffert du paludisme. La fièvre montait rapidement, avec des frissons de froid qu’aucune couverture ne pouvait soulager. Le remède curatif était  administré sous forme de piqures de quinine, un produit qui brulait comme du feu lorsqu’il était injecté. Après quelques heures la fièvre cessait aussi brusquement qu’elle été arrivée, vous laissant inondé de sueur. Lors de ces répits, reposant épuisé dans mon lit, j’en profitais pour me faire « gâter ». Ma grand-mère m’apportait sa boite de bijoux, un joli coffret dont le couvercle en verre représentait la ville de Venise, lieu de naissance de mon grand-père. Quant à ce dernier, il m’apportait sa montre de gousset que je gardais contre mon oreille.

Ce sont tous ces souvenirs qui ont ressurgis en voyant cette exposition sur la protection de l’enfance par l’UNICEF. Quel constat peut-on en tirer ?

Aujourd’hui encore le paludisme tue un enfant toutes les 30 secondes. Chaque année 350 à 500 millions de personnes en sont atteintes et un million en meurent.
L’UNICEF est l’un des membres fondateurs (avec l’OMS) de l’initiative « Faire reculer le Paludisme ».
Son objectif est de réduire de moitié le fardeau du paludisme. Cette maladie est l’un des facteurs de mortalité infantile les plus importants en Afrique, très loin devant le SIDA. L’UNICEF, dans sa lutte, n’oublie pas toutefois cette dernière pandémie dont l’Afrique est le continent le plus affecté. Elle lutte notamment pour empêcher la transmission du VIH de la mère à l’enfant.

 

Jean

 

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 J’ai écrit ce texte pour m’exprimer sur les tableaux que j’ai vus à la bibliothèque de Soissons.

Voilà : je vois la force d’expression de ces tableaux.

De plus ils parlent de vie et de soleil. Dans certains on peut y voir le Malin, des morts sur un bateau avec plein de signes de croix et de la fumée noire qui s’élève d’une forêt calme et noire.

On peut aussi y voir ces signes du Coran sur certains tableaux, de la peur du Diable.

Mais tout cela forme les signes de l’Amour et de la Vie d’aujourd’hui.

 

Abdallah

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L’horloge du temps


Merci Salim pour ce beau tableau.

Nous sommes emportés sur ce bateau poussé par le vent.

Sur ce navire il y a aussi une horloge qui mesure le temps qui passe.

Cela nous rappelle la vie qui s’écoule


Naget

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Nota : après la visite chez Salim, une foule de souvenirs de mon enfance tunisienne ont refait surface dans ma mémoire, réveillés par les images et les mots du peintre. Le texte qui suit n’est donc pas une biographie de Salim Le Kouaghet mais la traduction de mon état d’esprit à l’issue de la visite.

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Hier j’ai reçu un groupe de personnes venues me rendre visite et me questionner sur ma peinture.
Quand ils sont partis, seul dans ma grande maison picarde, j’ai regardé derrière moi. Mon passé, mes racines…Comme le disait Gauguin dans un de ses plus célèbres tableaux, perdu au milieu du Pacifique, loin de sa terre natale : « d’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »
A la sortie sud de la ville où j’habitais il y avait un panneau routier qui fascinait l’enfant que j’étais. Il indiquait les distances de villes africaines qui étaient pour moi comme des mirages lointains et attirants : Tombouctou 2634 kms, Le Caire 2537 kms.
Lorsque le « hamzin », ce vent du sud soufflait, mon esprit s’évadait vers ces lieux mythiques, à la rencontre des caravanes de sel. Les murs des maisons de la ville prenaient alors cette couleur ocre que l’on voit dans certains de mes tableaux.
Notre maison était grande. Elle s’organisait autour d’un « patio », grande cour carrée à ciel ouvert, sur laquelle donnaient toutes les pièces. Le soir, quand l’air frais des montagnes de Kabylie envahissait la ville, nous nous retrouvions autour du bassin d’eau et nous écoutions mon grand père nous raconter « la France » qu’il avait connue pendant la guerre de 14-18.
Ma mère avait un métier à tisser et, avec ma sœur ainée, travaillait à un grand tapis qui devait orner sa chambre. La mémoire est étrange… je ne sais plus où j’ai mis les clés de l’atelier mais les motifs du tapis sont gravés à jamais dans mon cerveau ! J’ai montré aux visiteurs ce grand tableau où figure ce tapis de ma mère, mais peuvent ils comprendre ?
Il y a la musique aussi, et le rythme un peu hypnotique du achwiq, le style musical kabyle, que ma mère chantait pour bercer mon petit frère. C’est ce rythme que j’essaie d’imprimer à ma main lorsque je couvre ma toile de ces motifs calligraphiques tous différents. Ils sont comme la musique qui m’a bercé, riche de variations mais pourtant composée de quelques notes seulement !
Un jour je suis parti. Non vers ces villes mirages dont je rêvais mais vers la France.
Je me suis installé sur cette terre picarde martyrisée par la folie guerrière des hommes. Mon grand-père, qui repose maintenant dans la terre de son pays, avait combattu ici. Les récits qu’il nous en faisait étaient pleins de bruit et de fureur et pourtant baignés de la nostalgie de sa jeunesse. Dans quelques unes de mes toiles j’ai essayé de peindre cela : des maisons dévastées. Je ne sais plus si ce sont celles de la Picardie après la guerre ou bien celles de mon quartier en Algérie, aujourd’hui livré à la destruction planifiée ?
J’entends la porte qui s’ouvre… ma fille rentre de l’école ; je reprends pied dans la réalité, le voyage est terminé mais les cailloux du Petit Poucet qui jalonnent le chemin de mes souvenirs sont toujours là car ils remplissent aujourd’hui mes toiles pour toujours.

 

 

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Saint Jean des Vignes

Saint Jean des Vignes

Je m’appelle Jehan (dans mon pays d’origine on disait Giovanni ou plus simplement Nanni). En cette année 1488 je suis arrivé à Soissons avec mon équipe de bâtisseurs pour ériger la tour de l’abbaye consacrée à Saint Jean, mon saint patron.
Nous somme francs maçons. La règle et le compas à la main, nous sommes les égaux des maîtres en théologie que nous fréquentons et avec qui nous partageons notre science des nombres et des ordonnancements dialectiques mais notre victoire consiste à dominer la résistance des matériaux.
Nous avons des privilèges, et d’abord celui de parcourir librement les pays, en toute franchise, en dépit des conflits qui opposent les royaumes. Près du chantier nous habitons tous la Loge. C’est là que nous entreposons et réparons nos outils. Hugues, le Maître, enseigne aux apprentis.
Je me souviens de la cérémonie au cours de laquelle j’ai été accepté dans la Loge des maçons. C’était à Florence et je débarquais encore imberbe de ma campagne toscane. Je ne peux vous décrire cette cérémonie. Son déroulement, comme  les règles de construction qu’on nous a enseignées, doivent rester secrètes pour les profanes.
Comme les moines, que nous côtoyons souvent, nous ne sommes pas riches mais nous avons tout ce dont nous avons besoin.
Maintenant je suis devenu vieux. Les jeunes écoutent mon enseignement et les nombreuses histoires que j’ai ramenées de mes voyages. Moi je rêve de revenir à Pontedera, sur cette rivière magnifique qui s’appelle l’Arno. Plus personne ne m’attend dans la grande maison familiale, sauf Ardelia, ma vieille nourrice, presque centenaire. Lors de ma dernière visite elle m’a avoué qu’elle ne voulait pas mourir avant que « Nanni » ne revienne au bercail.
Quand cette tour sera terminée, d’ici cinq ou six ans, je reviendrai poser mon sac a Pontedra. Assis sur les berges de l’Arno, je regarderai passer le temps et j’oublierai mes cathédrales.

 

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