Archives pour février, 2009

brumes1Derrière elle les brumes qui, comme les embruns, les nuages, le brouillard, changent les paysages de prose en poésie.
Un temps clair explicite la géographie, un arbre ici, un flanc de montagne là, une vieille baignoire qui sert d’abreuvoir dans un pré. L’épaississement de l’air fait disparaître cette certitude et chavirer le regard. L’œil se débat alors pour retrouver ses repères, comme un lecteur pour sortir indemne d’un poème.

Le paysage du passé se recouvre aussi de nuages. Revenir là-dessus, c’est jouer à cache-cache avec la lumière de la
mémoire, s’abîmant ici les yeux par l’effort, ébloui là par sa puissance nue.

J’ai évoqué ici le métier d’habilleur de théâtre, et un jeune collègue. Son nom m’échappait. Je le chassais, certain que
je reconnaîtrais ma proie si elle se montrait. La seule certitude alors est que le nom sur lequel je me suis arrêté n’est pas le bon. Jeff n’a jamais été …celui-là.

Le regard de cette enfant est clair, mais les brumes ne lui sont déjà pas extérieures. Dans ce qu’elle entend, ce qu’on
lui dit, déjà des contradictions, contresens même. Dans sa mémoire l’enfance sera partagée entre l’expérience vécue et l’expérience qu’aime bien lui raconter la famille, sans qu’elle puisse les séparer. La réalité et la légende se confondent dans la conscience.

J’étais dans les bras de ma mère, racontait-on, à une époque de violence, lorsqu’un vitrail du salon, fragilisé par une bombe et explosant tout seul, a couvert de tessons de verre le fauteuil que nous venions de quitter. Un moment épique de l’histoire familiale, mêlant le drame historique à l’énigme du sort individuel. J’ai amené mes propres enfants dans la rue devant la maison où leur père était né au premier étage. Le vitrail y était, à la bonne place, bien trop banal pour qu’on ait pu penser à le restaurer. Le souvenir aigu et fondateur est alors brouillé par ce paradoxe.

Si l’on écrivait, dans une tentative pour retrouver la clarté du regard, surmonter la frustration de ne distinguer les rochers qu’à travers des embruns ? (Il y a sans doute des équivalences dans les autres formes d’art, mais ce sont les mots à lire qui accompagnent ma recherche.)

Si un jour cette enfant pense à mettre en mots (comme on dit « mise en scène ») son expérience, elle verra que la lampe qu’elle tiendra à bout de bras jettera des ombres bien plus enveloppantes que les souvenirs qu’elle éclairera.

Mon père ne m’intéressait guère, jusqu’au jour où je me suis interrogé par écrit sur ce désintérêt, et un autre homme a émergé, piégé dans son rôle social, au moins assez consciemment pour manifester une morosité légendaire dans la famille, et, étonnamment, fier de moi son mouton noir. Mais les questions s’en sont seulement multipliées.

La difficulté, et la belle chance, de l’écriture, est que les mots doivent non seulement faire sens mais avoir de la tenue. Parfois, un mot s’impose pour des raisons qui ont moins à faire avec la réalité qu’avec le besoin de telle sonorité, telle chute de phrase, tel évitement d’une répétition. Est-ce tordre la réalité pour de basses raisons esthétiques ?
J’ai découvert que ces termes qui s’introduisent comme des visiteurs sans gêne qui se vautreraient sur mes coussins de délicate soie, peuvent présenter une version inouïe de ce que je voulais dire, allant plus loin, m’amenant plus loin.

La seule raison d’écrire le passé est, non pas pour le reconstituer, mais pour découvrir ce qu’il veut dire. Pour cela, cette enfant baissera un jour les yeux, se retournera vers sa vallée encombrée.

Un auteur dit sa vérité sur lui-même, mais ce lui-même est un personnage fictif.

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le noyer fou à droite de la photo


Au fond de mon jardin, au bord du plateau donnant sur la petite vallée de Dommiers, il y a un vieux noyer centenaire. C’est assurément un bel arbre (comme on dit d’un « beau vieillard ») et je l’ai souvent photographié car il équilibre le côté droit de la photographie, l’un de mes enfants occupant l’autre côté. Il a pourtant une particularité un peu désagréable : il ne daigne faire ses premières feuilles qu’à partir du 14 juillet et ses fruits ne sont mûrs qu’avec les premières brumes d’automne. C’est quand même l’un des personnages importants de mon jardin. Mes enfants, puis mes petits enfants, ont souvent utilisé son large tronc comme cachette dans leur tour de jardin lorsqu’ils jouaient à « Un, deux trois… Soleil ! »
Un après-midi du mois d’Août, un de ces étés de canicule comme nous avons maintenant (la faute au fameux réchauffement climatique…) je me dirigeai avec ma chaise-longue vers l’ombre profonde et accueillante de son feuillage dans l’intention d’y faire une petite sieste. Pourtant ma grand-mère m’avait toujours déconseillé de faire cela. « Tu vas attraper la mort » me disait-elle !
Je m’endormis rapidement. Une voix retentit alors dans ma tête. Je me souviendrai toujours de ce rêve. (Mais était-ce bien un rêve, ou l’arbre a-t-il réussi à communiquer avec moi ?).
« Alors Jean… tu profites de mon ombre ? Tu es pourtant bien ingrat avec moi ! Chaque fois que tu fais visiter le jardin à tes amis il faut t’entendre ironiser sur ma particularité :
« Oui, mesdames et messieurs, nous avons là un noyer que je qualifierais de fou. Figurez-vous qu’il ne fait apparaitre ses premières feuilles qu’au 14 juillet. Il est en plein décalage ! Quant à ses fruits, ils ne tombent qu’en fin octobre et deviennent vite immangeables dès qu’ils sèchent. »
Sais-tu pourquoi je suis « fou », comme tu dis ? Je vais te le conter et tu verras après cela que la folie, elle est plutôt du côté des hommes !
Alors la voix du vieil arbre m’envahit encore plus et me fit le récit suivant que je vous retranscris du mieux que je peux.
« Je suis né au début de ce que vous appelez le vingtième siècle. Peu de temps après il y eut une guerre que vous avez qualifiée de « Grande », sans doute à cause de la boucherie qu’elle a engendrée. Des étrangers s’étaient installés dans ce jardin. C’étaient des « américains » je crois. Juste en face, de l’autre côté de la vallée, dans le bois du Chaufour, il y avait l’Ennemi. Une pluie d’obus traversaient la vallée dans chaque sens et labouraient le sol. Je venais d’avoir 18 ans : l’âge de la maturité, comme chez vous les hommes….Un de ces obus m’a coupé en deux ! Normalement j’aurais du mourir mais j’ai survécu. Nous étions alors au printemps. C’est là que j’aurais du faire pousser mes premières feuilles mais je n’en eus pas la force.
Lorsque l’été est arrivé, il y a eu de grandes réjouissances car l’Ennemi avait été repoussé. Le jour de la Fête Nationale, le 14 juillet, il y eut un grand bal dans tout le village. Une partie de ta maison, tenue à cette époque par un cafetier, était le centre de la fête. Oui… c’est à ce moment là qu’on a baptisé cette salle au bout de ta propriété : « la salle de danse » et, depuis, tu continues à l’appeler ainsi sans savoir pourquoi. Comme tous les végétaux j’adore la musique ! J’ai senti alors que mes feuilles se frayaient péniblement un chemin à travers les extrémités desséchées de mes branches. Je renaissais en ce 14 juillet, dans un frisson de joie, au son des bals populaires.

Depuis ce jour là je continue à renaitre à cette époque tardive. Comme pour beaucoup de tes semblables, vois-tu, la guerre m’a profondément et durablement changé.

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Je vis dans un brouillard permanent. Je vogue dans ma maison en frôlant les meubles. C’est au son de leur voix que je me dirige vers les visiteurs. Les parcours en auto me donnent mal au dos : car ce brouillard m’empêche d’anticiper les virages, les accélérations, les freinages, les arrêts…

Vous l’aurez compris, je suis aveugle !

Je n’avais pourtant pas ce handicap à la naissance. C’est par un excès de diabète qu’il m’est arrivé, en pleine force de l’âge, à cette période où mes enfants, adolescents, avaient besoin de mon affection, de ma présence…

Inutile de vous dire que ce fut le noir total en moi ! Je restais des heures prostrée dans le canapé… A tel point que, Jean-Charles, mon mari, me retrouvait le soir dans la même position qu’il m’avait quittée le matin …Prostrée ! oui ! tel est bien le mot… Imaginez cette infirmité qui s’installe en vous…sans pouvoir y porter remède… Perdre la vue… c’est perdre la lumière, la couleur, les fleurs, les paysages, les visages…

Il m’a fallu du temps pour admettre, pour accepter cette non-voyance. J’en voulais à la terre entière, à Dieu lui-même ! Pourquoi moi ? Qu’avais-je fait pour que m’arrive ce malheur ? Pas de réponse ! seules les paroles éplorées des proches, des voisins… qui vous font autant de mal que de bien, car elles vous enferment dans un monde que seul, vous connaissez …

Mais la rencontre de personnes vivant ce même enfer m’a appris à vivre avec… Vivre avec c’est se dire qu’on ne peut pas laisser ses proches, son mari, ses enfants avoir pitié de leur femme, de leur mère. Il faut qu’ils en soient fiers…

C’est ainsi que j’ai appris à lire le braille… que j’ai réappris à refaire le lit sans un pli dans les draps… je me suis réorientée dans ma cuisine pour continuer à préparer les plats quotidiens et les desserts pour nos invités… sentir avec les doigts si il y avait de la poussière sur les meubles… apprendre à tricoter des pulls avec des motifs de couleur en différenciant les laines par le toucher et en comptant le nombre de mailles… j’ai appris à vivre dans un univers à moi, rien qu’à moi !

Mais j’ai voulu sortir de cet univers et retrouver des amis non-voyants. J’ai donné des leçons de braille. Je me suis inscrite dans des associations où j’ai rencontré par exemple un pianiste…, une chef de chœur en chorale…, des non-voyants bien intégrés chez les voyants.

J’ai voulu à travers ce témoignage vous faire découvrir mon quotidien brumeux. J’espère avoir réussi. Si vous rencontrez des non-voyants, je vous en prie, soyez simples…, ne détournez pas votre regard… adressez-vous directement à eux !

Gisèle.


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Je suis TATIANA
La sauvageonne, l’indienne
je suis TATIANA
la silencieuse, la secrète.
Je suis la reine de cette vallée et des bois qui l’entourent.
Aucun être humain ne connait mon secret.
J’ai juré de ne rien dévoiler.
Le matin je me presse, il y a tant à faire !
Je sors au moment où la brume de l’aurore est encore étendue en voile doux au dessus du sol.
Je guette les messagers.
Sitôt qu’ils me repèrent, ils se dépêchent de me rendre compte
Il y a tant à faire !
Les journées sont trop courtes !
Il faut libérer la nouvelle poule séquestrée, affamée, dans le piège à renard,
Poser des Belladones devant les passages des chasseurs pour dévier le gibier de leur route,
Soigner la patte d’un blaireau avec une application de sève de bouleau.
Vite, le temps presse, un corbeau, messager noir, croasse une nouvelle alerte
en tournoyant au dessus de ma tête.
J’arpente les sous-bois, la peau de renard sur l’épaule
qui masque mon odeur d’homme
Le parfum de la honte.
ici, je recueille 8 marcassins collés au cadavre de leur mère
qui a dû courir longtemps avant de mourir là,
vidée de son sang par le trou de chevrotine.
Je les mène au terrier d’une renarde
qui vient de perdre ses deux petits.
Elle les nourrira, les sauvera.
Je me presse, il y a tant à faire !
Il y a le hérisson que petit Louis a enfermé dans un carton
Et tant de travail encore !
A chaque fois, aux oreilles des victimes,
les mots mille fois répétés :
« Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »

Je suis TATIANA
La sauvageonne, l’indienne
Je suis TATIANA
l’erreur humaine.

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En ce temps là, je revenais fillette sautillante, du marché de Soissons, épuisette à papillons à la main, telle Diane chasseresse. Ma grand-mère avait fait ses emplettes, et m’avait acheté au marchand à “cent balles” cette épuisette au milieu d’une quincaillerie, objets en tout genre qui n’étaient vendus pas cher.

C’était un temps, ou le quartier Lamartine, et la plaine Maupas étaient encore un formidable terrain de jeux,royaume des papillons, des sauterelles et des fourmis. J’avais les champs à portée de mollets solides, les arbres et les pâtures m’entouraient. Ma grand-mère, bonté faite femme, me gâtait de milles attentions. Mon enfance sentait la tarte aux pommes cuite au feu de bois, les quatre heures avec de magnifiques tartines de confiture, les tasses de chocolat brûlant,l’odeur des crêpes sucrées et la magie des gaufres…

Au jardin de ma grand-mère se dressaient rouges et flamboyantes de somptueuses pivoines. Elles refleurissaient, tous les ans. Et pour moi enfant, j’imaginais qu’il en était ainsi depuis la nuit des temps.Ces fleurs étaient particulières. Elles fleurissaient, autrefois dans un autre jardin… celui de mon arrière grand-mère. C’était impressionnant et rassurant cette filiation, ces racines qui s’inscrivaient dans ces simples fleurs. Ma grand-mère me parlait ainsi de sa mère, en surveillant la floraison. Ce n’était pas triste, puisque les pivoines étaient toujours vivantes et belles.

Le temps est passé…Moi, partie dans d’autres lieux, ma grand-mère vieillissant… Un placement en maison de retraite, à la suite d’une chute, fût décidé par ses enfants. Je ne pouvais rien, je n’étais que sa petite fille. Les premières semaines, les premiers mois, elle me répétait sans cesse:”Je ne sais pas quand je vais pouvoir rentrer, dans ma maison” Elle me parlait de son jardin et de son chien, entourée de vieux séniles répétant, hurlant toute la journée , l’une ” je veux rentrer, chez mes enfants” l’autre: “maman”…je la vis décliner…parlant bien elle aussi un peu toute seule… je sentais, que son esprit devenait confus, que les événements étaient mélangés. Les morts étaient prés d’elle, tandis qu’elle ne se souvenait plus que j’avais des enfants. Je me décidais un jour à rencontrer une soignante qui s’occupait d’elle:” C’est de la démence, dont souffre votre grand-mére me dit-elle”.

Je la retrouvais sommeillant:” Ah! c’est toi, celà va faire la Une du Journal l’Union!” pour me taquiner d’une absence trop longue. Elle avait changé, recrocquevillée, les cheveux un peu plus blancs. De la démence m’avait-on dit là haut. Je prenais la main de ma grand-mère, et les années n’étaient pas passées. J’étais toujours sa petite fille, et celà elle le savait toujours. Le vent agitait au loin la cime des arbres, et celà semblait l’inquiéter. Il y avait au centre de la table, un joli bouquet de pivoines rougeet je tentais de faire surgir des brumes de sa mémoire, cette douce évocation de notre histoire. Elle regarda les fleurs, ne sachant à cet instant si celà était bon à manger, à regarder, et pourquoi celà se trouvait ici.

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